Introduction générale

La période de confinement « imposé » fut sans précédent. L’injonction à rester chez soi a questionné notre rapport à la ville et à notre logement. Elle a renversé les rapports de proxémie (Hall, 1966) en favorisant un surinvestissement de l’habitat (du logement et éventuellement de l’immeuble et/ou îlot) et un désinvestissement de la ville.  La ville est appréhendée depuis son habitat en tant que monde social (Strauss, 1978, Becker, 1982) en grande partie hors d’atteinte. Elle est intériorisée et projetée.

Notre hypothèse est que ces nouveaux équilibres entre extériorité et intériorité engagent notre rapport à la ville et à l’habitat. Ils questionnent la qualité associée aux espaces urbains, aux lieux du proche et plus largement aux autres. Ils favorisent les représentations de la ville et hiérarchisent ce qui est important pour chacun. Quel rapport à la ville, aux espaces publics et à la nature en émerge-t-il ? Peut-on en tirer des enseignements pour améliorer la qualité urbaine des villes ?

Fenêtre sur confinement - Introduction générale

Dès le début du confinement, nous avons élaboré, à cinq chercheures en urbanisme et sociologie urbaine[1], un protocole de recherche urbaine et sociologique singulier pour observer cette période inédite sachant qu’en matière de mémoire, les faits et les sensations s’oublient vite et sont en partie reconstruits a posteriori. Nous avons privilégié une approche qualitative, conduite en milieu urbain en France et en Italie[2] pendant le temps du confinement et 2 semaines après (soit 10 semaines). Nous avons recueilli le vécu du confinement et l’appréhension individuelle de la ville et de l’habitat à travers deux méthodes :

  • Une enquête par entretiens semi-directifs téléphoniques d’environ 2 heures hebdomadaires (onze personnes ont ainsi été interviewées chaque semaine).
  • Un recueil de 32 journaux de bord personnels rédigés quotidiennement ou hebdomadairement (à partir d’une grille de questions transmise la première semaine du confinement).

Plus d’une quarantaine de personnes[3] ont pu ainsi être suivies. Nous avons pu documenter et consigner, tout au long du confinement, le vécu du confinement et l’évolution du rapport à la ville, à ses qualités, notamment son urbanité, en tant qu’elle engage la citoyenneté (vie politique), la civilité (vie sociale), la citadinité (vie urbaine). Nous avons à travers nos entretiens hebdomadaires, la lecture des journaux de terrain et une revue de littérature/presse systématique, croisé chaque semaine nos observations sur les réorganisations socio-spatiales qu’engageaient cette situation inédite et nos questions sur la ville, sa naturalité et sa qualité, dans le cadre d’une réunion entre chercheures. Rapport au temps, rapport à soi, aux autres, rapport aux lieux (chez soi, son quartier, sa ville) et à la nature urbaine, … sont autant de thèmes qui ont été analysés. Le matériau recueilli est riche d’enseignements et nous pensons qu’il questionne ce qui participe de la qualité urbaine et de la qualité de la vie.

C’est pour mettre en valeur ces témoignages que nous avons décidé de faire réaliser 10 podcasts à partir des journaux de bord. Nous avons fait appel à la Compagnie des gens qui content et à Poétique publique pour raconter 10 journaux de bord, choisis parmi les 30. Des voix pour rendre compte de la diversité des regards sur un vécu de situation commune, pour apporter une vision sensible à ces textes, pour valoriser l’humanité de cette recherche.

[1] Francesca Ansaloni et Emeline Bailly, urbanistes, Laetitia De Angelis, ethnologue, Bénédicte de Lataulade et Lucie Melas sociologues.

[2] Milan, Paris, Marseille, Nantes, Grenoble, Lyon, …

[3] Les personnes interviewées ont été mobilisées sur la base d’un appel à participation auprès de nos réseaux de voisinage et social et ne sont d’aucune façon représentative d’un panel quelconque. Elles présentent toutefois des caractéristiques d’âges diversifiées (de 8 ans à 75 ans) et de structures familiales différentes (personnes seules, couple. famille avec enfant). Elles renvoient à des types d’habitat variés (immeubles, tours, grands ensembles, maisons), d’occupation contrastée (locataires et propriétaires) avec des espaces extérieurs ou pas.